MAJOU SORT A MONTNER

Sur la terrasse de l'Auberge du Cellier
Sur la terrasse de l'Auberge du Cellier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le billet précédent vous a montré le ciel,

celui-ci revient sur terre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notre exil choisi et champêtre à LF n'empêche bien sûr pas que toutes mes activités professionnelles, agréables ou purement administratives (quelle horreur), restent ancrées à Corneilla. Néanmoins, les visites en soirée chez les quelques restaurateurs que nous sommes heureux de conserver en pays catalan exigent une petite heure de route supplémentaire pour rentrer au frais du pavillon côtier. 

 

Le plus proche de nos voisins, l'Auberge du Cellier, a élu domicile tout en haut de la colline schisteuse de Montner, près des étoiles, pour y abriter la sienne. Hier soir, la bâche amovible qui couvre la terrasse ouverte sur le vignoble s'est enroulée silencieusement dès que le soleil ne tapait plus. Seuls les martinets, par dizaines, décrivaient leurs tourbillons et leurs vrilles sous un ciel de cirrus que le couchant rendait orangés. On était bien.

C'est un des ors de Jean-Philippe Padié qui a accompagné le repas (ses vignes ne sont pas loin, de l'autre côté de la route du Col de la Dona) et c'est l'orangé de l'abricot "rouge du Roussillon" qui rehausse les tons de l'assiette de dessert devant Christine.

 

Nous ne le savions pas, mais le chef a ouvert la période de son menu "truffe d'été"  (on verra une autre fois) et la salle était comble. Patrick, son fidèle responsable de salle depuis une grosse demi-douzaine d'années, et son collègue actuel, fort souriant et affable également, ont eu tout le loisir de chouchouter les clients, avec pas mal d'humour. En effet, le chef avait sa tête des jours de "chauffe" et on sentait que la cuisine tournait sur le mode turbo. Nous, c'est plutôt de la lotte qu'il nous a servie, manière Romesco, sur une espèce de compotée de poivrons, agrumes, ail rissolé (on dit cremat), safran, un peu à la mode shakshouka, ce qui, en patois arabe tunisien signifie à peu près mélange, mixture ... une macédoine, une marmelade, quoi. Mais ce n'est pas de l'(h)oumous qui l'accompagnait - Comme là-bas, dis! - mais une mousseline de pomme de terre "riche". Oh oui, riche de bon beurre et encore de bon beurre. Il en a été très content, le Flamand de Majou! Moi, comme le faisait ma grand-mère, je la bombarde de muscade en plus, cette recette, jusqu'à l'excès, subtil et tout. Et vas-y que je rape la noix. Mais chacun fait ce qu'il veut.

 

D'ordinaire, je ne cuisine pas la lotte moi-même. Cette bête est hideuse, difficile à débarrasser de sa peau gluante et de toutes ses membranes et sa cuisson est délicate, sauf en civet. Ou bien vous la sous-cuisez et elle reste un peu visqueuse, collante sur son arête centrale; ou bien, horreur, vous la cuisez trop longtemps et elle se rétracte, devient coriace sous la dent et perd tout son goût. En plus, ce poisson coûte cher si on veut du frais de petite pêche. Hier, je pense que nous avons eu droit à des "tournedos" taillés dans un assez gros specimen et en four vapeur à température modérée. La texture restait ferme et onctueuse à la fois (un peu comme du mérou) et la chair très blanche, non rétractée. On ne peut certainement pas dire que la ration était avare et pourtant j'en aurais bien pris une repasse, pour être sûr, en plus du morceau que Christine m'a refilé, stillekes 'oen*.

Ce plat fait appel aux classiques de la cuisine méditerranéenne traditionnelle (baudroie, Romesco, safran, ail) mais revisitée par l'expérience du chef pour un peu plus de légèreté et de complexité. On n'est pas obligé d'ajouter du sagi dans tout, ni de l'aïoli à la tonne! Les chefs des Feuillants préparaient souvent des combinaisons de ce type à leur grande époque cérétane. Le bouquin de Jean Plouzennec, avec ses si jolies illustrations, vous initie d'ailleurs un peu à ce type d'ambiance dans quelques-unes de ses recettes.

Voilà pour la bonne chère.

 

Mais le repli du toit mobile est un moment spectaculaire aux yeux, et sa fraîcheur est agréable à la peau, un peu comme le contact avec celle d'une belle métis Carioca un soir de samba à Leblon.

(J'avais trente ans, snif ....)

 

J'ai un souvenir semblable, quoique beaucoup plus "posh", qui remonte à mon adolescence. Bobonne - surnom affectueux donné en Belgique aux grands-mères - qui m'a élevé et initié à la bonne bouffe, emmenait tout son petit monde à Paris, en virée gastronomique, une fois par an environ. On prenait le TEE (Trans-Europe-Express) et elle réservait les tables. Je devais avoir 12 ans, par-là, cette fois-là et nous prenions le déjeuner chez Lasserre. Je n'y ai plus jamais remis les pieds depuis lors. Deux faits saillants m'habitent encore, au même titre que Mitterrand habite Jack Lang, aux dires de ce fourbe maniéré.

 

Tout d'abord, la table voisine accueillait Salvador Dali et sa cour (non, pas Amanda Lear malheureusement). J'admirais déjà les talents du maître mais c'est un personnage infect à titre personnel et ses exigences capricieuses ont gâché le repas de toute la salle, et certainement la sérénité de la brigade de salle, qui tournicotait autour de ses convives comme un député LREM qui essaierait de capturer un peu de la sueur céleste du président Macron pour pouvoir faire flairer cette relique à ses amis des Lyons, ou bien au club house du 18 trous où il détient des parts. 

 

Et puis surtout, le plafond décoré de fresques s'est écarté en deux parties au milieu du repas, sans un bruit ni aucun courant d'air, découvrant le ciel. Top! 

 

Ca, j'ai aimé! 

 

 

 

* = Stilletjes aan, en douce, en catimini ...

 

 

 

 

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