On parle d'Alain, de sa compagne,
de la CIA, de "blenders"
et d'un très grand riesling mosellan.
Depuis 5 heures du matin, le calme plat a fait place à une tramontane intermittente et modérée. Sa survenue m'a réveillé un bref instant (un carillon en bambou pend devant la porte-fenêtre de ma chambre); j'ai ensuite glissé mon corps d'albâtre (c'est gras, l'albâtre?) sous le drap en coton après avoir éteint le ventilo et je me suis rendormi.
Alain est un copain. Il a contribué grandement au succès de la gamme d'alcools de la société Fourcroy du temps de sa splendeur et connaît bien les spiritueux. Il est aussi un amateur de bon vin.
Alain est un homme de marketing plus qu'un vendeur. Normal, il est un pur produit de l'Ecole de Commerce Solvay. C'est un libéral, teinté d'une pointe de social-démocratie: le libre échange ne constitue pas chez lui un dogme mais une méthode de faire circuler les biens et il a le respect de l'autre. Vous voyez bien que ce n'est pas un "vrai" libéral.
Il m'a rendu des services amicaux, par ses analyses fines et à contre-courant, par ses conseils, par ses encouragements. Nous nous étions rencontrés par l'entremise de feu mon ami Xavier, qui n'était pas une Tante Artémise (20 ans depuis la disparition de Nino Ferrer) et Alain, mis au courant de mes intentions néfastes (devenir vigneron) et de mes difficultés à réunir les conditions propices à cette entreprise, avait prédit: "Tu trouveras une solution originale pour ce projet, inattendue, hors du commun". Sa boule de cristal n'avait pas prévu que le succès - commercial - ne serait jamais au rendez-vous, mais pour le reste il ne s'est pas trompé.
Ce matin - lui coule une retraite heureuse, sportive et néanmoins oisive, alcoolisée et sereine, sur la côte de la belle Andalousie - il montrait sur sa page d'un réseau social comment il sifflait une vieille bouteille d'un produit honni: Bacardi. Je ne vais pas retracer l'histoire de cette société mafieuse, cubaine au départ mais qui s'est vite délocalisée, inféodée à la CIA et aux plus sombres pages du contre-espionnage états-unien ainsi qu'à la pègre d'extrême droite des expatriés cubains en Floride (et ailleurs). De malice en facétie, j'ai indiqué à ceux de ses contacts qui n'ont pas de conscience sociale ni d'érudition révolutionnaire (tous en fait, des libéraux, vous dis-je) les quelques objections qui me sautaient à l'esprit devant sa bouteille.
C'était à la fois de la provoc', de la raillerie et ... une manière de faire mon devoir de contestataire, malgré mon âge.
Et bien, je pense que mon ton n'était pas le bon - je prends la responsabilité du malentendu sur moi - car Patricia (meuf à Alain), qui n'entretient d'ordinaire pas de grief à mon égard, m'a mordu le nez. Je précise donc que je n'ai pas "fait la leçon" à mon ami, qui connaît les alcools au moins aussi bien que moi (van binnen en van buiten!). Mais j'ai tenté d'inculquer un peu de "boire décent" à la clique de dégustateurs indolents qui constituent notre "lectorat" commun, mon acte révolutionnaire prolétarien du jour, similaire dans l'esprit à la "B.A." du scout de l'Enfant Jésus, et au verre de demi-écrémé du "Brigadier M" de mon enfance scolarisée.
Voilà, Patricia, je voulais simplement expliquer pourquoi "ce n'est pas bien" d'évoquer Bacardi.
Davidoff ne vaut pas mieux, ou à peine.
Quand on boit une "Jupi", on enrichit un milliardaire (belge) et on avale quelque chose de quelconque, aussi mauvais au goût qu'une Heineken ou une Kronenbourg. mais c'est quand même de la bière, brassée au départ d'orge maltée et mise en bouteille sans contrevenir aux règles habituelles de la profession, des lois, du contexte social. Ce n'est pas bon, cela s'inscrit dans le cadre de la société de consommation traditionnelle mais on ne s'allie pas - objectivement - avec le grand banditisme. Pour Bacardi, c'est tout l'opposé. ce n'est pas bon non plus, mais ce n'est pas - techniquement - du vrai rhum et on participe au bien-être d'une firme qui présente le pire profil moral qu'on puisse trouver dans tout le capitalisme mondial.
Quoi, Bayer? Oui, d'accord, mais ça ce sera pour une autre fois.
Sur ma photo, je vous montre un rhum issu d'un assemblage français, mais ne provenant pas des colonies du royaume de Macronie. Le "blender" a utilisé des fûts (de cognac, je crois) pour faire maturer des rhums provenant de la Barbade et ayant un profil de "20 ans d'âge". C'est vraiment très bon, suave et, sauf preuve du contraire, c'est vraiment du rhum aussi. Je ne suis pas sûr que Vincent Bolloré ait mis ses billes dans cette exploitation également. Là, on engraisse un capitaliste français, mais il est de relativement petite taille et je ne lui connais pas de lien avec une quelconque guérilla tiers-mondiste. Bien sûr, par le biais de la fiscalité, il entretient les compagnies de CRS, mais nous tous aussi.
Et le RIESLING?
Je l'ai acheté AVEC (= en compagnie) du même ami Xavier, chez cet immense vigneron qu'est Willy Haag, à Brauneberg. Lors de notre première rencontre, il en était à sa 41ème campagne de vendanges, ayant succédé à son père alors qu'il n'avait lui-même que 17 ans (la guerre?). Je l'ai revu souvent depuis et c'est son fils qui préside aux destinées du domaine à présent.
Un Auslese, au Weingut Haag, c'est réellement quelque chose.
Celui-ci (1996), après 20 ans de bouteille, a gardé toute sa vivacité. Il a gommé toute ardeur de l'alcool (bas d'ailleurs) et cette sucrosité caressante envahit le palais de ses notes d'agrumes, de miel d'acacia, de champignon frais. Bien courageux celui qui arrive à s'arrêter avant d'avoir vidé la bouteille. Je n'ai pas cette vertu, en tout cas, personnellement.
Ein Prosit.
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