NE PAS JETER L'INGENIEUR ...

 

 

 

 

 

 

... avec l'eau du ciment

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme je vous l'ai exposé, il me semble que le désastre humain et économique qui fait suite à l'effondrement d'une pile du pont de l'A 10 italienne à Gènes mérite qu'on essaie de comprendre. Il est facile de dire: "C'est l'Italie, l'entretien ne vaut rien, tout le monde s'en fout, la conception était boîteuse ...". Bien sûr, les voies ferrées françaises sont en parfait état, le hangar de Roissy n'a jamais présenté de problème, le train de Pécrot, en Belgique, n'a jamais tué personne, aucune rame britannique n'est jamais retardée par des soucis techniques et jamais un avion n'a endommagé de câbles de téléphérique en Suisse.

 

Hier soir, une journaliste du "Figaro Madame", très bien renseignée mais perfide comme savent l'être les garces de la droite bien pensante, nous rappelait le bris d'un autre pont à petit nombre de haubans de béton construit sur les plans du même ingénieur au Vénézuela, way back in 1964 ...

 

Je voudrais commencer par préciser cet accident. Regardez ce qu'en avait fait le New York Times, à l'époque.

Effectivement, le General Rafael Urdaneta Bridge, qui traverse le Lac Maracaibo et avait été construit par Morandi en incluant sept pylônes de conception similaire à ceux de Gènes, avait perdu 1.500 pieds (env. 500 m) de son tablier, tuant cinq personnes au passage. Mais c'est suite à la collision entre deux piles et un supertanker, le Esso Maracaibo, transportant 250.000 barils de pétrole et mesurant plus de 200 m de long; pas un "fwêle eskif' " donc! Celui-ci était devenu inmanoeuvrable suite à une défaillance électrique. Lorsque les malles Ostende-Douvres heurtaient les jetées à Ostende par gros temps (ou par l'ivrognerie de l'homme à la barre, l'alcool est en duty-free à bord), les quais aussi étaient endommagés.

 

Le pont Wadi el Kuf, en Lybie, du même type, semble donner toute satisfaction.

 

L'ingénieur (français) responsable du viaduc de Millau, lui, estime que les projets patronnés par Morandi ne souffrent pas d'un défaut de conception, même si les solutions retenues n'ont pas montré les économies espérées et nécessitent une maintenance attentive ... comme toutes les autres réalisations. 

 

Qui était ce Riccardo Morandi? Allez voir ICI pour les détails. Il s'agit d'un Romain né en 1927 (décédé en 1989) qui a d'abord travaillé sur le béton dans les conditions sismiques particulières de la Calabre. Revenu dans la capitale, il a créé sa propre boîte, a été professeur aux université de Rome et Florence, dans un pays où l'ingéniosité est reine, et a développé des techniques spéciales d'utilisation du béton précontraint. Rappelons que ses très nombreux chantiers, publics pour la plupart, eurent lieu pendant l'équivalent des "Trente Glorieuses" en Italie. Le pays revenait de très loin et était en plein essor économique. Il allait aussi d'un cabinet à l'autre, d'un clan mafieux à l'autre et la cassure entre le nord et le Mezzogiorno était encore bien plus affirmée qu'aujourd'hui. 

 

Ironiquement, le responsable de l'Agenzia Nazionale Stampa Associata à Paris, répondant dans un français bien meilleur que le mien, expliquait ce matin qu'un tel accident sur un ouvrage moins important dans un coin reculé de la Calabre ne surprendrait pas, mais ici, à Gènes, au coeur même de l'industrie de l'Italie civilisée ...!

Vous voyez bien que rien ne change.

 

Alors, un petit mot sur ce type de ponts. Le tablier est bien entendu constitué de portions en béton (précontraint), mais sa structure est en fait haubannée au départ d'un certain nombre de pylônes.

 

Un peu d'histoire: la fin de 19ème voit utiliser le béton armé dans les constructions importantes. On sait qu'il suffit (yaka) de placer des tiges, formant réseau ou non, d'acier dans les coffrages, en contact intime avec le béton, au moment du coulage de celui-ci. Le béton garde ses propriétés de résistance dans tous les efforts de compression, tandis que l'acier augmente la résistance à la traction. Bien vu, mais il y a un hic. Le béton n'accompagne pas l'élasticité du métal et ne reprend pas sa place initiale une fois la traction disparue. Des fissures apparaissent qui fragilisent le béton, le rendent dégradable et permettent aussi une corrosion plus rapide de l'acier. Tegenslag

 

Un Français, Freyssinet, développe dans les années trente la technique de précontrainte du béton. Le béton, on sait ce que c'est: des granulats (gravillons ou sable, ou encore granules artificiels plus légers) amalgamés par un liant (du ciment, généralement). L'idée de la précontrainte, géniale en elle-même et protégée par un grand nombre de brevets, consiste à créer, au moment de la "prise" du béton, une compression initiale qui le rend plus résistant aux étirements ultérieurs, une fois sous charge. 

 

On distingue deux types de techniques principales, pour autant que j'aie bien compris.

 

Ou bien on place des vérins entre la structure envisagée et ses appuis. On voit cela parfois (à l'oeil nu) sur des ponts surplombant une chaussée. Ces vérins "soulèvent" un peu la partie centrale et créent ainsi une compression préalable. On n'inclut pas de matériel métallique dans le béton en lui-même.

 

Ou bien on utilise du métal (acier) au sein même du béton. il existe ici deux méthodes distinctes.

1. La pré-tension - moi, j'ai la prétention de vous l'expliquer - consiste à tendre des fils d'acier autour desquels le béton vient prendre dans son coffrage. Une fois que le béton est sec, on coupe les câbles en tension à leurs extrémités. Leur rétraction partielle vient, bien évidemment, comprimer le béton. Pas bête, hein? On comprend que le tracé des poutrelles ainsi obtenues est rectiligne, d'une part,  et que le processus s'applique de manière homogène à toute la longueur de l'élément, d'autre part.

2. La post-tension - et c'est le cas dans un ouvrage important comme le Ponte Morandi - tente d'obtenir un effet de compression en deux temps. On construit un coffrage (aux formes voulues) en y laissant des passages (comme les veines dans un corps ou les trous dans du fromage) et on y coule le béton, en l'y laissant prendre. Ce n'est qu'après la prise, dans ces espaces, que l'on insère les câbles et on les tend ensuite par des vérins. Enfin, on cale les câbles, solidarisés au béton. Lorsque l'on relâche les vérins, le relâchement partiel de la tension des câbles, transférée au béton, comprime celui-ci. Pas idiot non plus! L'avantage est que beaucoup de formes sont envisageables et une distribution inégale des points de compression peut-être organisée.

 

Vous penserez à moi en regardant un pont à l'avenir, ou en le traversant! 

 

 

PS: en avril 2010, Christine et moi avons assisté aux festivités organisées à Vienne pour les 50 ans de mon amie "Fifi", qui était un cadre senior chez IBM à cette époque. C'est du vin de la Coume Majou, porteur d'une contre-étiquette à l'effigie de mon amie, adolescente, qui fut servi aux invités. Nous avons tout transporté dans le pick-up du domaine, celui-là même qui me sert encore aujourd'hui. Et notre équipage a suivi une route qui faisait ... Menton - Gènes - Udine ...

Nous avons franchi cet ouvrage à l'époque, dans le brouillard.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Comments: 2
  • #1

    Charlier Luc (Wednesday, 15 August 2018 11:19)

    Une petite remarque: il semblerait qu'on peut forer des petits trous (à usage domestique) dans des poutrelles ou structures en béton précontraint. Par contre, il faut éviter de tomber sur les torons d'acier qui ont assuré la précontrainte!

  • #2

    Michel (Thursday, 16 August 2018 09:56)

    Bien torché
    Bravo