Certains s'imaginent que la Belgique
ne possède pas du tout de côte.
On me dira donc que nous n'avons pas la culture de la mer. Pourtant, la nouvelle marina de Nieuport (Nieuwpoort), forte de 2000 anneaux, en fait un des ports de plaisance les plus importants de toute l'Europe du nord. Et lorsque l'on se promène sur l'estacade, on aperçoit beaucoup plus de voiles en mer (déployées) qu'au Cap d'Agde ou à St Trop'.
Néanmoins, le tapage fait autour de la "Route du rhum", qui part dimanche, m'irrite au plus haut point.
Attention, les exploits individuels des skippers, comme ceux des alpinistes de l'extrême, peuvent déclencher des sentiments d'admiration compréhensibles - même si personnellement je ne les partage pas. Mais les aspects critiquables sont tellement plus nombreux.
Loin de moi l'idée de vouloir interdire la course en mer. Ils font ce qu'ils veulent.
Mais je vais m'efforcer de vous exposer mes réserves, qui me scandalisent parfois.
Tout d'abord, en cas de pépin et de risque pour la vie de ces ego démesurés, d'autres sont censés se dérouter pour leur venir en aide, au nom d'une tradition maritime séculaire. Cela valait jadis quand des équipages subissaient un coup du sort dans l'exercice normal de leur navigation, que ce soit pour des raisons commerciales, touristiques ou plaisancières. Mais ici, ce sont des êtres déséquilibrés (on y reviendra) qui se mettent eux-mêmes en situation potentiellement dangereuse et qui attendent (exigent?) ensuite qu'on leur portât secours, quitte à risquer d'autres vies. Je ne suis pas d'accord: s'il leur arrive malheur, qu'ils assument. Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire, mais c'est à l'organisateur, sur ses propres deniers et avec ses propres personnels, d'intervenir.
Je pense la même chose pour les courses en montagne, Mont Blanc, Everest et tout le toutim.
Ensuite, l'argent qu'on investit dans ces entreprises servirait tout aussi bien à venir en aide aux migrants qui s'abîment en mer. Ils courent des dangers similaires et les ont encourus en toute connaissance de cause aussi, mais ils n'avaient pas le choix, à quelques exceptions près. Eux fuient la misère ou la tyrannie, tandis que les navigateurs solitaires cherchent simplement à satisfaire un besoin de reconnaissance ou à combler des déficits d'ordre psychiatrique.
On pourrait aussi entreprendre des recherches plus"actives" et moins "secret défense" avec cet argent, quand un sous-marin envoie par le fond des marins-pêcheurs, par exemple, en Manche ou ailleurs. Et le nom des sponsors pourrait apparaître tout autant lors de ces opérations, qu'il suffirait de médiatiser au même titre que les joujoux nautiques de ces happy-few.
La couverture médiatique est ahurissante.
Honnêtement, qui est-ce que cela intéresse?
Et quel plaisir tire-t-on du déroulement de la course une fois celle-ci hors de vue?
Je ne nie pas le côté esthétique immédiat de l'escadre qui s'ébroue, ou des photos en mer "à la Beken of Cowes". J'en possède moi-même et je monte à bord des grands navires multi-mâts chaque fois que c'est faisable. Mais un de ces catamarans hideux, tout en dérivés du pétrole, et qui ne pourrait même pas embarquer la moitié d'un équipage raisonnablement dimensionné, des passagers en nombre restreint ou du freight même léger ...
Ajoutons le caractère souvent matière à débat des sponsors: un charcutier industriel de l'acabit de Herta ou Président (bêrk!), des entreprises bancaires ou d'assurance, des géants des télé-communications, des compagnies pharmaceutiques ... On n'attend plus que Westinghouse ou (Manu)Areva.
Et ces navigateurs eux-mêmes, que l'on voudrait nous présenter comme les héros des temps modernes ...
Je n'en connais évidemment aucun personnellement mais on les entend en long et en large sur les ondes, qu'ils naviguent bientôt, qu'ils aient tout juste navigué ou même qu'ils ne naviguassent plus. Certains sont manifestement brillants, organisés et extravertis (Kersauson, Autissier, Arthaud ...), d'autres sont plutôt discrets et réservés en apparence. Tous partagent un sentiment "d'être à part" (le surhomme nietszchéen) et un bon nombre sont des renfrognés asociaux. C'est leur droit tout entier, mais en quoi cela nous intéresse-t-il?
Enfin, l'argument avancé, comme en course automobile, selon lequel on fait avancer la technique est risible.
Ce n'est pas l'objet de ce billet mais il est très facile - quoique long - de le réfuter totalement.
Ce n'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la pub!
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