L'Eglise de la Madeleine,
et sa tourelle d'escaliers
"Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé (...)"
C'est au 11ème siècle que l'église de la Madeleine apparaît dans des documents. On lui refait la nef le siècle suivant, on surélève son clocher au 14ème et on lui ajoute enfin sa tourelle d'escaliers au 15ème. Moi, je la découvre sciemment lorsque j'enfourne une voiture dans le parking qui s'ouvre sur son parvis. Il faut bien connaître l'endroit pour ne pas rater l'accès, d'ailleurs.
Raimond Trencavel n'a pas eu cette chance: il y fut assassiné le 15 octobre 1167.
Trencavel, c'est le "casse-noisette" de la langue occitane (trenca avelana, voir hazelnut), et désigne une lignée seigneuriale des vicomtes d'Albi descendant de la maison de Lautrec. Sous Bernard-Aton, cette branche possède les vicomtés d'Albi, d'Agde, de Carcassonne, de Nîmes, du Razès et de Béziers. Cela en fait, de la vigne! Ils seront un des protagonistes de la guerre des Albigeois, opposants de la maison de Toulouse et donc du roi de France (Saint Louis), mais également adversaires des rois d'Aragon par ailleurs. Cela en fait, aussi, du pétard!
Mais mon histoire se passe avant cela, bien sûr. Notre Raimond est le premier du nom chez les Trencavel. A la mort de son père, il hérite d'Agde et de Béziers, d'autres villes échéant à sa fratrie. Il s'oppose au Comte de Toulouse, restant bien dans la tradition de sa famille, même si les alliances sont volatiles en ce temps-là. Il hérite également d'Albi, de Carcassonne et du Razès à la mort de son frère Roger, mais cède alors Agde (simple, non, comme dans un Monopoly). Après 1153, où il est capturé puis libéré contre rançon (en passant par la case "prison"), s'ensuit un imbroglio, un mic-mac, un embrouillamini de modification des alliances.
Alors que son camp porte secours à un proche menacé par les armées d'Aragon, un de ses soldats se prend de bec avec un bourgeois de Béziers. Il est obligé de châtier ce bourgeois pour plaire à sa soldatesque, un peu comme le ministre de l'intérieur du royaume bananier de France fera lancer plus tard des grenades dans le dos de Rémi Fraisse à Sivens pour plaire à la CRS.
Et badaboum, les Biterrois mécontents l'assassinent dans cette église, tel un autre "ZAD" (Zig à Descendre).
Bon, il avait quand même eu le temps de faire trois filles à Adélaïde et deux fils à la suivante, Saure.
La lignée perdurera donc jusqu'à Roger Trencavel, qui participa à la huitième croisade. Et puis plus.
Vous savez que l'humoriste nous décrit un promeneur qui rencontre son ami Désiré au gré de ses flâneries.
Moi, c'est cette façade qui me rappelle, peu ou Proust, une féria de Béziers vécue avec mes fils adolescents alors qu'ils occupaient avec leur mère une villa dans l'arrière-pays de Valras ou Vendres. Nous y étions d'abord allés dans l'après-midi, en groupe avec les autres membres de la famille, et nous étions ensuite revenus "entre hommes" et avions déambulé en soirée dans les rues autour de la cathédrale, noires de monde, de jolie fille en jolie fille, profitant de la douce moiteur de la nuit et des odeurs de gardiane de taureau, de paëlla, de sangria et de beu grillée à tous les coins de rue.
" ... Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces,
plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes,
à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable,
l’édifice immense du souvenir ..."
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