... mais déjà Saint-Crescent.
Nous avons "bien travaillé" en octobre et novembre mais les perspectives pour la fin d'année sont sombres.
Pour Coume Majou, ce n'est jamais une période porteuse en termes de vente de vin. Les restaurateurs préparent leurs repas pour les fêtes et leur activité "traiteur" et, en outre, ils auront l'inventaire de fin d'année à faire. ET les particuliers ont rempli leur cave de vins quelconques mais à prix "avantageux" durant les foires au vin de la GD. Enfin, mes clients fidèles viennent de répondre à l'offre que je leur fais toujours en cette saison.
Cette année en outre, la politique désastreuse pour le pouvoir d'achat des consommateurs français "normaux", je veux dire à l'exclusion des vrais "gros richards", qui de toute façon ne boivent pas mes "petits vins" et ne fréquentent pas les restaurants qui n'affichent pas au moins trois étoiles, a rendu morose la France des bons vivants et a jeté dans la rue les plus démunis. Tout cela fait peur au bourgeois (moi y compris).
C'est Dany-le-Rouge, devenu depuis un parlementaire transfrontalier ronronnant, qui avait déclaré en '68, déjà:
"Nous allons marcher sur l'Arc de Triomphe car c'est un monument con". Et il avait raison - je ne parle pas du soldat inconnu, que je respecte profondément, mais qui est une rajoute tardive sans rapport avec la destination première de la construction.
L'histoire se répète mais le contexte est différent. De Gaulle représentait un monde qui s'évanouissait et il n'avait rien compris au nouveau. De même, le président actuel tente, avec toute la caste qu'il défend, de prolonger un peu le système bancaire/financier/capitaliste actuel qui vit ses 20 ou 30 dernières années. Mais la France de De Gaulle était coupée en deux (à peu près) alors que de nos jours les vrais profiteurs ne représentent même plus
5 % de la population totale. Et Macron l'a très bien compris, mais il a choisi le camp de cette infime minorité. Bizarrement, eux, en échange, l'ont choisi, lui, pour promouvoir leurs intérêts. C'est une grave erreur de casting alors que they should have known better.
Voilà, refusant pour un soir de percevoir les désordres pré-insurrectionnels qui secouent la préfecture de l'Aude, ville qui a toujours réagi au quart de tour par le passé, nous avons emprunté la D 6009 jusqu'au rond-point de la piscine de Narbonne et avons garé la voiture devant la belle enseigne de Lionel Giraud, ze King of ze truf'.
La salle est pleine, pleine de gens qui se font plaisir: un jeune couple au bébé poussant des petits cris de paon faisant la roue, un monsieur ventripotent vêtu d'une vareuse de rugby (XXXXL) lui allant comme un gant, des abstinents à la table à côté de la nôtre (!), un large groupe de dîneurs s'envoyant de la gemme d'Alba, Tuber magnatum, plat après plat ...
Nous possédions (façon de parler) un quadrilatère de clients similaires: Cyril Attrazic, David Enjalran, Lionel Giraud et Franck Renimel. L'Esprit du Vin n'a tenu que quelques années dans une bonne ville d'Albi qui a toujours boudé ses étoilés. Pourtant, la cuisine du chef et le soutien impeccable de Marion en salle ne souffraient d'aucun reproche. Pour les trois autres, la même recette (un chef au top et une épouse investie dans l'affaire) leur garantit un succès qui ne se dément pas. Ils ont généralement su trouver un responsable de salle et un sommelier capables d'assurer le même niveau, et de canaliser le flux incessant du personnel. J'suis un vieux con, mais, quand j'étais p'tit, la brigade en salle était immuable. Je pense que cela créait une proximité et une convivialité qui participe du plaisir de la table. La France, qui a d'autres défauts par ailleurs, a toujours su créer cette complicité et moi j'aime ça. Ma propre fille assume la responsabilité du service en salle dans un beau restaurant de Wallonie* et, d'après les retours que j'en ai, la clientèle (surtout des habitués) apprécie ce climat autant que les assiettes parfaites de son patron, même si la jeunesse de l'équipe laisse parfois échapper une petite bourde sans conséquences.
Bref, vous l'avez compris, notre soirée d'hier nous a fait du bien, à Christine et à moi.
Menu entrée - viande - dessert et un verre sur chaque plat pour moi, Christine a pris le volant en rentrant.
Je vous expliquerai cette péripétie.
Connaissez-vous l'ikejime? Si vous êtes un freak de gastronomie, passez-ces lignes.
Sinon, direction le Japon dont la mentalité schizophrène complique la vie des habitants mais a apporté pas mal d'innovations techniques dans tous les domaines de l'activité humaine et notamment en cuisine.
Un poisson pêché à la ligne rejoint le bord du bateau et est immédiatement "décérébré" par une manoeuvre précise à l'aide d'un objet tranchant et pointu. Ensuite, il est plongé dans la glace et on sectionne les artères principales alors que le coeur bat toujours. Il se vide donc totalement. C'est l'inverse d'un canard tué au masque pour être cuisiné "au sang". Ensuite, la chair est maturée sans risque (tout est relatif) pour des durées prolongées (un mois n'est pas rare). D'une certaine manière, on reprend ainsi une partie des procédés du "gravad" scandinave.
Hier, le thon rouge de Méditerranée, proposé "simplement" en tartare, au couteau et assaisonné avec beaucoup de subtilité et de recherche, avait mûri 30 jours avant de fondre sous nos quenottes, nous à qui keuf' n'avait pas passé les menottes.
Ensuite, c'est une poule fermière migrante, exilée depuis Saint-Felix-de-Lunel (12), entre Estaing et Conques, qui a fini sa course au bouillon lent (23 heures de préparation en tout m'avoue le chef) avant de se faire contiser, de se faire napper d'une sauce suprême ayant troqué le Lillet ou le Noilly pour du rancio sec ("Bien !!!!!") et surtout de se faire parfumer par quelques copeaux de tartufo bianco! Vous allez crier au scandale, à la gabegie des moyens du ménage. Pas du tout: Monsieur Giraud a beau être un des animateurs de la "truffe cathare", il défend avec le même style les autres tubercules et les vend au très juste prix. Surtout ne pas hésiter!
Jérémy, notre compatriote qui gère la salle, Albert, son sommelier qui nous a présenté Maxime (un stagiaire aveyronnais qui le seconde avec beaucoup de gentillesse et d'enthousiasme) et toute l'équipe ont répondu "présent". C'est avec le moral au beau fixe, l'estomac rassasié mais pas archi-comble que j'ai récupéré mon chandail que la maîtresse des lieux avait pendu au clou. Il faisait doux dehors et on ne sentait pas (encore) les fumigènes.
Arrivés en vue de la barrière de péage - le soir, on préfère rentrer au plus vite et sans écraser de deux-roues systématiquement mal éclairés au bord de la départementale - Christine n'a pas obtempéré à mes injections.
Elle a eu raison cette fois ... sans doute. Une trentaine de policiers (CRS, gendarmes, je ne suis pas spécialiste en flicologie) canalisait des jaquettes fluo en pagaille, entre fumigènes, lacrymogènes, feux de joie, sirènes et gyrophares bleus. Il n'est pas certain que nous serions passés. Et c'est via Prat-de-Cest, Sigean et les vignes mordorées que nous avons retrouvé chiens et chat, paisibles.
J'éprouve un petit malaise, comme un peu de honte mal bue, à cause du contraste entre le mal-être que beaucoup ressentent au quotidien (et nous aussi, généralement) et cet excellent moment, furtif, d'hier soir. Mais je suis intimement convaincu que ces deux mondes-là sont les versants du même peuple et que notre "ennemi" commun, toujours plus raréfié et toujours plus opulent, toujours plus puissant aussi, vit ses dernières décennies.
Mon utopie à moi, c'est un accès pour tous à une petite fraction du luxe, choisie, sélectionnée et forcément réduite. Et non pas rien que le strict minimum (ou même pas) pour les uns, la grande majorité d'entre nous, et TOUT pour une poignée de happy few, souvent cachés mais bien réels.
Poule fermière pour les uns, truffe blanche aussi ...
* Aux Petits Oignons, Jodoigne (une * Michelin)
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